Jeanne JACQUEMIN
(Paris, 1863 – 1938)
Sainte-Georges, Autoportrait
Lithographie en couleurs
260 x 165 mm, marges 404 x 307 mm
Cachet à sec de l’Estampe Moderne en bas à droite
Cadre en chêne Art Déco avec motifs géométriques d’éventails dorés
Peintresse aux yeux verts, princesse symboliste aux prunelles mystiques, précurseure des visions stylistiques et spirituelles d’Armand Point et de Lévy Dhurmer, Jeanne Jacquemin fut une figure iconique du mouvement fin-de-siècle dont la vie rocambolesque et souffrante inspira Huysmans. Née d’un père inconnu et d’une modiste demeurant à Pigalle, sa mère se remarie dix ans plus tard avec un dessinateur joaillier. Son nouveau beau-père lui apporte alors des rudiments en dessin et surtout son goût pour les pierreries dont elle parera nombre de ses personnages. Continuant à se former en autodidacte jusqu’au décès précoce de ses parents, elle entre ensuite au service de la courtisane et actrice Léonide Leblanc où elle noue des relations amicales avec des amateurs d’art et collectionneurs parisiens. En 1881, elle épouse le fantasque et bohème Édouard Jacquemin, qui l’encourage à développer son art. Venue de rien, la jeune femme commence à s’entourer de la fine fleur aristocratique des lettres et des arts, recueillant l’hommage des plus grands : Verlaine, Mallarmé et Rodenbach. Elle commence à écrire des vers introspectifs accompagnants ses œuvres et à rédiger des textes artistiques, notamment sur Edmond Cross, d’une plume évanescente et raffinée. Devenue son propre modèle, l’artiste se représente par de véritables autoportraits-martyres aux têtes douloureuses, déliquescentes, saignantes ou pleurantes, parées de couronnes d’épines, ou méditant sur fond de paysages crépusculaires. Dans tous ses pastels, se retrouve son visage singulier et androgyne, son menton à la Burne-Jones, dans un visage triangulaire et émacié, tandis que les yeux, immenses et suppliants, arborent toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Extase et douleur, sensualité et spiritualité cohabitent dans un monde qui oscille entre le génial et l’enfantin, la pensée la plus haute et l’hystérie.
L’unique photographie connue d’elle (ill. 1) témoigne de sa physionomie, tournant ici vers le spectateur son visage douloureux et anguleux, les yeux comme embués et défaillants, évocateurs. A partir de 1892, elle expose ses oeuvres à la galerie Le Barc de Bouteville ainsi qu’au Salon de La Plume jusqu’en 1897. Surnommée de « vampire » par Jean Lorrain, et de « petit voyou mystique » par le Sâr Péladan, il refuse de l’exposer en vertu de la « loi magique » de la Rose+Croix excluant les femmes Attirée par les cercles occultistes, proche de l’univers du maître des « noirs » Odilon Redon, l’art indépendant et sincère de Jeanne ne recule pas à incarner le mystère de la souffrance habitant chacun de nous : ses regards et visages nous renvoient à nos propres interrogations métaphysiques et nos terrifiants visages intérieurs. Peu d’artistes de cette époque ont osé pousser la quête du symbole aussi loin qu’elle ne le fit. Parsemée de références à l’art de la Renaissance et du Moyen-Âge, son oeuvre réduite (sept pastels localisés et trois gravures) fait écho aux lignes de Botticelli et Ghirlandaio. Notre lithographie constitue l’autoportrait le plus authentique de cette artiste hors norme. Figure masculine majeure de l’art et de la foi occidentale, saint militaire, Jeanne fait le choix audacieux de se représenter sous les traits androgynes de Saint-Georges et non ceux, plus attendus de son homonyme rouennaise. L’art et la mystique transcendent ici les dualités existentielles de la condition humaine.
680 €
Jeanne Jacquemin photographiée par Benque & cie, vers 189. Tirage portant un envoi à Henry Bauer, Paris, collection Eric Walbecq
Bibliographie
Jeanne Jacquemin, peintre et égérie symboliste, Jean-David Jumeau-Lafond, 2003, Revue de l’art, septembre 2003, n°141 p. 57-78