Alfons Mucha - Mage du Divin

"L’expression de la beauté passe par l’émotion. La personne qui peut communiquer ses émotions à l’âme des autres est un artiste." A. Mucha

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

A l’époque d’Alfons Mucha (Ivancice 1860 – Prague 1939), l’avènement du modernisme révolutionne la conception de l’art. Durant son séjour à Paris entre 1887 et 1906, la capitale française et artistique voit se succéder de nouvelles doctrines artistiques, du dadaïsme au cubisme, parallèlement à la vogue internationale de l’Art Nouveau. La notion de beauté traditionnelle commence à être remise en question. Cependant, en cette période de troubles esthétiques, Mucha figure parmi les artistes restés fidèles aux valeurs universelles et immuables de l’art. Il déclarera en effet: « L’art est aussi éternel que le progrès de l’homme, et sa fonction est de guider le chemin de l’homme par la lumière. »

Mucha croyait avec certitude qu’une belle œuvre d’art en tant que symbole de la bonté – contribuait à améliorer le moral et la qualité de vie des gens, pour, in fine, donner naissance à une société meilleure. Professant la beauté onirique et le fonctionnement harmonieux de la nature, ses créations étaient pour ses contemporains, tout comme elles continuent de l’être pour nous, esthétiquement agréables et inspirantes.

De Signorelli à Doré Musée de Strasbourg

Sainte Sarah Bernhardt

Alfons Mucha, La Dame aux Camélias, 1896, lithographique en couleurs, 207 x 76 cm 

La Dame aux Camélia est, à l’origine, un roman d’Alexandre Dumas fils, adapté au théâtre en 1852 puis repris par Verdi qui s’en inspira afin de composer son magnifique opéra La Traviata. Cette somptueuse affiche stellaire fut conçue pour la promotion de la pièce crée par Sarah en 1896. Elle y incarne ici Marguerite, femme parisienne élégante, vêtue d’une gracieuse robe dessinée par Mucha lui-même. Pour l’artiste, les femmes étaient des « forces créatrices capables de faire naître de nouveaux êtres ». Il écrira à propos de Sarah Bernhardt : « On peut dire que rarement l’âme de quelqu’un a été plus fidèlement extériorisée. Chaque trait de son visage, chaque mouvement de son vêtement est profondément déterminé par ses besoins psychologiques. » Le fait de les représenter « en rôle » – c’est-à-dire moins la femme que « l’âme » de son art, correspond à l’esthétique de Bernhardt et à l’image idéale qu’elle aspire à projeter sur scène. Mucha élabore avec elle un style de composition auquel il restera fidèle et présente ses figures féminines comme des icônes ou des muses, porteuses de messages séduisants, associées à divers motifs décoratifs et symboliques. Attirantes, facilement identifiables et au graphisme fort, les affiches de Mucha vont donner naissance à ce que l’on appelle communément le « style Mucha » dont les traits vont être représentatifs du style Art Nouveau naissant.

William Blake, Ecrits prophétiques

Esthétique Byzantine

Alphonse Mucha, Tête Byzantine Blonde, 1897, lithographie en couleurs, 34, 5 x 28 cm.

Pour l’artiste tchèque, la civilisation byzantine se révèle être le foyer spirituel de la culture slave. En témoigne le réemploi dans ses œuvres de nombreux motifs issus du répertoire iconographique byzantin : mosaïques, icônes, costumes somptueux agrémentés de bijoux d’or et de pierreries chatoyantes. Sur cette lithographie décorative se découpe un profil de jeune femme parée de luxueux ornements de cheveux aux formes orientalisantes, s’inscrivant dans un cercle évoquant les portraits byzantins anciens. Les délicats motifs qui entourent le cadre s’apparentent à de la dentelle, typique de l’artisanat morave. L’idée de beauté occupe une place centrale dans la philosophie artistique de Mucha. Elle y est un symbole d’harmonie morale, au même titre que la bonté et la vertu, aux pouvoirs inspirants. L’artiste est ainsi envisagé comme un prêtre sur l’autel de la beauté, d’où il prêche le message de celle-ci au public : « Le but de l’art est de célébrer la beauté. Et qu’est-ce que la beauté ? Elle est la projection d’harmonies morales sur le plan matériel et physique. Sur le plan moral, la beauté s’adresse à l’évolution de l’esprit, sur le plan matériel, elle s’adresse au raffinement des sens, par l’intermédiaire duquel elle atteint l’âme. Pour communiquer avec les âmes des hommes, l’artiste doit s’adresser aux sens du corps. Pour éveiller l’intérêt des sens, pour les éveiller à sa parole, l’artiste doit savoir charmer. Ce charme consiste en l’harmonie parfaite qui doit régner entre le moyen de communication employé & les facultés des sens auxquelles il s’adresse. » J.Mucha, 1989, p.50.

 

sainr sébastien

Monde Spirituel

Le Pater, Textes, illustrations et conception par Mucha, édité par H. Piazza, Paris. Lithographie en couleurs et héliogravure, 41 x 31 cm. 

Le spiritualisme de Mucha s’enracine dans un mysticisme morave cultivé depuis son enfance grâce à sa mère Amàlie, catholique fervente. Le jeune Alphonse, doté d’une voix mélodieuse fut longtemps enfant de chœur à Ivancice, sa ville natale, avant d’être choriste au sein de la prestigieuse cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul de Brno. Il réalisera par ailleurs une série de monumentaux vitraux pour la Cathédrale Saint Guy de Prague. Tout au long de sa vie, il a gardé ces impressions issues de son éducation religieuse ; l’architecture de la cathédrale, ses fresques, ses statues, ses ornements, les cierges scintillants, le parfum enivrant de l’encens et des fleurs d’autel, les cloches et l’orgue… Elles constituent la base de ses goûts esthétiques et de son mysticisme. En 1900, à l’occasion de l’Exposition universelle de Paris, Mucha présente son dernier ouvrage, intitulé Le Pater. A l’intérieur de ce poème philosophique aux lettrines néogothiques enluminées, il traduit à travers les mots du Notre Père chrétien son idéal spirituel en y associant des motifs décoratifs  aux symboles maçonniques.  Cette nouvelle interprétation du Pater chrétien se compose de 7 jeux de 3 planches, qui montrent à l’homme la voie pour atteindre l’idéal divin – soit l’état le plus élevé du monde spirituel – dans son voyage de l’obscurité vers la lumière. Dévoilant sa vision spiritualiste dans une démarche qui s’écarte de son travail d’artiste « commercial », Mucha considérait cet ouvrage comme l’une de ses plus belles œuvres.

Noirceurs Symbolistes

Illustration de la septième page du Pater, “Ne Nos inducas in tentationem sed libera nos a malo”  (“Ne nous laissez pas succombez à la tentation mais délivrez-nous du mal”), 1899, lithographie.

A l’opposé de ses femmes icônes belles, saines, sensuelles, innocentes qui séduisent le spectateur par leur charme magnétique ainsi que par leur expression bienveillante et réconfortante, nous sommes ici confrontés à un type de femme mystérieuse, profonde et inquiétante dont le canon Symboliste s’apparente plus à l’univers de l’artiste belge Félicien Rops (1833-1898) ou du dessinateur anglais Aubrey Beardsley (1872-1898). L’univers floral, lumineux et bucolique de son œuvre se substitue ici aux noirceurs intérieures, inconscientes ou non, présente en chaque être humain en proie au doute existentiel, perpétuellement renvoyé à sa propre finitude, au tiraillement entre esprit et matière, désirs sauvages et aspiration au sublime. Les monstres aquatiques envahissant l’esprit semblent être repoussés par la protection lumineuse et immaculée de la Vierge Marie, invoquée par la jeune femme en prière, qui appose délicatement ses mains sur sa tête en guise de bénédiction. Les mêmes yeux luminescents des créatures et de la Vierge soulignent l’ambiguïté et la perméabilité entre les mondes du rêve et ceux de la prière. Notre Père, qui êtes aux Cieux, délivrez nous du mal ! Le Pater de Mucha est entièrement et librement consultable en ligne sur le site BNF.Gallica. A contempler sans modération !

Les Adresses du Cloître de l’Art :
Cathédrale Saint-Guy, Uli. Nádvorí 48/2, 119 01 Praha 1-Hradcany, Tchéquie. 
– Musée Alfons Mucha de Prague, Panská 7, 110 00 Nové Mesto, Tchéquie. 

Bibliographie 
Catalogue d’exposition “Alphonse Mucha. La beauté Art Nouveau“, musée départemental breton, Quimper, sous la direction de Tomoko Sato, 2021, 127.p.