Phoebe Anna Traquair
La Fée Brodeuse PréraphaéliteEnlumineuse, peintre, fresquiste, relieuse, designer, émailleuse, décoratrice, illustratrice, poétesse, croyante : Phoebe Anna Traquair (Kilternan 1852 – Edimbourg 1936) fût en un mot l’artiste idéale du mouvement Arts & Crafts. Influencée par la poésie et l’univers mystico-dantesque de ses confrères William Blake et Dante Gabriel Rossetti dont elle ornera les sonnets, c’est à travers le prisme de sa production brodée que nous allons aujourd’hui l’approcher.
Ce fabuleux cycle brodé intitulé The Progress of a Soul est un projet de paravent inspiré du texte de Walter Pater, Denys l’Auxerrois, second de quatre contes publiés sous le nom de Portraits Imaginaires en 1887. Dans ce récit, l’auteur parvient à créer un pont spirituel entre le monde païen et religieux à travers la figure poétique de son protagoniste Denys. Tout d’abord associé à la figure de Dionysos, celui-ci adopte petit à petit les traits d’un moine. Cette métamorphose existentielle évoluant du chagrin à l’extase, plût à Anna Traquair qui décida de composer quatre panneaux grandeur nature aux tonalités vibrantes et moirées dans les règles de l’art normand. Le spectateur y suit un jeune homme revêtu d’une peau de léopard symbolisant l’évolution de l’âme humaine. Ce chef-d’œuvre occupa l’artiste durant neuf années consécutives. Ces scènes à la technique d’Aubusson époustouflante, reflètent avec délicatesse et magnificence décorative l’universalité de nos vies. En 1903, ces panneaux furent exposés pour la première fois à l’Arts & Crafts Exhibition Society à Londres où ils reçurent un accueil élogieux de la part de la critique et du public. En 1904, ils furent envoyés à l’Exposition Universelle de Saint-Louis.
THE ENTRANCE
The Progress of a Soul, premier panneau (1893-95) L’Origine. Soie et peinture, laine, fils en lin d’or et d’argent, 180,7 x 71, 2 cm. Copyright National Galleries of Scotland, Edinburgh.
Dans la fraîcheur du jardin d’Éden, Denys est revêtu d’une chatoyante peau de bête s’accordant harmonieusement avec les luxuriants motifs végétaux et animaliers brodés de fils d’or et de soie. Jouant de sa lyre en chantant, tout son être semble empli de joie et d’enthousiasme, épargné par la connaissance de la condition humaine. La présence du lapin fait écho à la symbolique de la luxure : ce premier panneau représente les plaisirs hédonistes de la jeunesse couplés à ceux de l’innocence.
THE STRESS
The Progress of a Soul, second panneau, (1895-97) L’Angoisse. Soie et peinture, laine, fils en lin d’or et d’argent, 180,7 x 71, 2 cm. Copyright National Galleries of Scotland, Edinburgh.
Plus le temps passe, plus Denys devient mature et les ombres de la vie s’abattent sur lui. La nature environnante s’est, elle aussi, métamorphosée : le soleil doré du premier panneau s’est mué en un ciel tourbillonnant et menaçant. Telle une nature morte incluse dans la composition, le lapin, jadis vigoureux, s’échappe sanglant du bec d’un vautour. Un serpent s’est quant à lui enroulé autour des jambes du jeune homme, ralentissant son avancée. La progressive émergence des symboles chrétiens est subtilement introduite. Traquair, plus franchement que Pater, transforme son Apollon-Dionysos en une figure sainte, voire christique. Le torse de Denys commence ici à saigner.
DESPAIR
The Progress of a Soul, troisième panneau (1897-99) Le Désespoir. Soie et peinture, laine, fils en lin d’or et d’argent, 180,7 x 71, 2 cm. Copyright National Galleries of Scotland, Edinburgh.
Proche de l’iconographie d’un saint Sébastien transpercé de flèches ou d’un Christ en Croix, Denys, à bout de forces et à l’article de la mort se soutient debout à l’aide d’une branche de vigne. Sa harpe est désormais brisée. Les ronces épineuses encerclant ses pieds font encore référence à la couronne du Martyre. La subtile tonalité lunaire évoque le Golgotha.
THE VICTORY
The Progress of a Soul, quatrième panneau, (1899-1902) La Victoire. Soie et peinture, laine, fils en lin d’or et d’argent, 180,7 x 71, 2 cm. Copyright National Galleries of Scotland, Edinburgh.
L’apothéose est le panneau le plus spectaculaire de l’ensemble : il figure la renaissance de l’âme après la mort, transfigurée par la Vie Éternelle après son pèlerinage sur terre. Denys est ressuscité par le baiser d’un ange roux aux ailes séraphiques. Le monstre dragonesque à ses pieds suggère le combat et l’adversité du mal incombants à tout être humain.
Les Adresses du Cloître de l’Art à Edimbourg
Bibliographie
Illustration
Decorative panel for the drawing room at the Kellie Castel, Fife, 1897, huile sur toile, 195 x 171 cm, National Trust for Scotland