Joseph GRANIÉ
(Toulouse, 1861 – Paris, 1915)
Jeune femme aux yeux bruns
Mine de plomb, sanguine, aquarelle et rehauts de gouache sur papier beige
307 x 270 mm
Signé et dédicacé en bas vers le centre : à Paul / Granié
Provenance : The Fine Art Society, Londres, mai 1984.
Joseph Granié grandit à Toulouse en 1861 dans une famille de tapissiers. Il entre à l’École des Beaux-Arts de la ville puis, après les quelques années d’apprentissage, est admis à l’École des Beaux-Arts de Paris au sein de l’atelier de Gérôme. Élève original, il se détourne des cours de nu et pratique l’art du portrait. Perfectionniste mais singulier, il ne se laisse pas influencer. Il cherche à se démarquer de ses jeunes collègues et choisit, s’opposant au règlement de l’École, de ne présenter que des portraits et des études au concours de fin d’année. Il expose pour la première fois au Salon en 1879, mais le succès n’est pas au rendez-vous. Soutenu par Félix Ziem et passionné par le Moyen-Âge, Granié se dirige vers l’enluminure. Il puise alors son inspiration dans les manuscrits de la Renaissance, complétée par des visites régulières au jardin des plantes qui lui fournissent des formes végétales. Il ne se satisfait pourtant pas de ces enluminures délicates et raffinées, et poursuit son travail en peinture. Parmi ses envois au Salon, quelques portraits, comme celui de Mlle Bergerat pour le Salon du Champs-de-Mars, renouent avec sa passion de jeunesse pour le genre et attirent enfin l’attention sur son œuvre peint. Granié semble avoir enfin trouvé sa voie et son langage plastique. Dans un article paru en 1899 à l’occasion de l’achat du Portrait de Marguerite Moreno1, actrice de théâtre et égérie du symbolisme, par le Musée National du Luxembourg, Jean Cruppi écrit que «c’est grâce à la discipline si sévère et si forte de cet art de l’enlumineur que Granié, loin de se spécialiser, a conquis enfin la liberté de son talent, sa conscience définitive de peintre et de dessinateur2 ». La ligne sobre du profil de Mlle Moreno, ainsi que la blancheur et la délicatesse de ses mains aux doigts effilés unis en un geste étrange et spirituel, témoignent de l’évolution du style de Granié vers une élégante sobriété teintée de symbolisme. La ciselure du trait et les couleurs raffinées concentrent l’attention sur les points clairs du dessin, et rappellent les maîtres allemands du XVe siècle qu’il a longtemps contemplés : Albert Dürer, Hans Holbein, Lucas Cranach, mais aussi Léonard de Vinci et Ingres.
Illustration 1 : Joseph Granié, Marguerite Moreno, vers 1899, huile sur bois – H. 56 ; L. 46 cm avec cadre H. 65 ; L. 55,5 cm. Achat à Joseph Granié, 1899 © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski
Références :
2. La Revue de l’art ancien et moderne, 12 juillet 1899, p.94
Granié se distingue par ses mystérieux portraits de femmes aux traits d’une pureté idéale et aux chevelures esquissées avec sensualité et élégance. Ses dessins, émouvants par leur simplicité, sont pour la plupart réalisés à la mine de plomb sur un papier légèrement coloré, puis rehaussés d’une touche de gouache blanche. C’est le cas de notre dessin, qui représente un visage de jeune fille frontal, les pupilles profondes rehaussées à l’aquarelle et les zones d’ombre légèrement soulignées par une sanguine fondue dans la matière du papier. Le regard fatal aux yeux légèrement écartés, la finesse de la bouche et la ligne du nez simplement illuminée d’une touche de gouache claire, confèrent à ce portrait un caractère énigmatique qui situe Granié au plus proche de l’univers symboliste tout en conservant la subtilité très atypique de son art.
4 000 €