Le Musée des Beaux-Arts de Dijon : Une visite symboliste d'un Palais Muséal
"Le plus beau musée de France après le Louvre." Georges Salles, 1949.
Niché au coeur du Palais des Ducs de Bourgogne, ce fabuleux musée a réouvert ses portes en 2019. Le riche parcours artistique, organisé dans un écrin historique de premier choix, offre un panorama de mille cinq cents sculptures et peintures mettant en valeur une splendide collection médiévale, baroque et symboliste à redécouvrir.
Des temps médiévaux en la Donatellesque compagnie de Claus Sluter jusqu’aux troubillons romantiques du vingtième siècle naissant avec Paul Gasqc, en passant par la lyrique féminité de l’Art Nouveau de Jean Dampt et de Félix Fix-Masseau, découvrez aujourd’hui les collections du musée des beaux arts de Dijon à travers une sélection symboliste de quatre œuvres emblématiques!
Royale Élévation
Claus Sluter (Claus de Werve et Jean de Marville), Tombeau de Philippe le Hardi, 1381-1390, albâtre, rehauts de polychromie et dorure.
Également créateur du fantastique Puits de Moïse pour la Chartreuse de Champmol, Claus Sluter, aussi surnommé “le Donatello du Nord”, est l’un des artistes les plus fascinants et attachants des années 1400. Dotées d’une force d’expression jamais atteinte avant lui, ses oeuvres renouvellent aussi largement les formules de l’art sacré et funéraire. En cette fin de Moyen-Age qui porte la sculpture à son sommet, elles ont eut l’impact mystérieux du renouveau, dû, entre autre, au dialogue fécond entre artistes et hommes d’Église. Sluter confère aux lourds drapés dont il enveloppe ses figures, une monumentalité inédite. Le duc de Bourgogne est ici revêtu d’un large manteau d’hermine aux volumineuses manches, posé sur une armure; ses attributs, tels la couronne, l’épée ou le heaume expriment cette double fonction princière et guerrière. Il y repose seul sur le marbre noir, yeux ouverts et mains jointes, dans le prestige de son destin terrestre, comme dans l’humble attente de l’au-delà. A sa tête, deux anges agenouillés revêtus d’un manteau immaculé de blanc cassé aux étoiles brodées d’or dont les ailes nous éblouissent de leur gracieuse magnificence portent son casque et expriment une douce et sincère affliction, à laquelle semble aussi participer le lion sur lequel repose ses pieds.
Tout autour de ce fantastique sarcophage, un superbe cortège en frise animée composé de pleurants d’albâtre évoque le souvenir du convoi funèbre qui avait suivit la mort du duc. Ils y évoluent seuls ou par paires dans une galerie à alternance de travées et d’arcs géminés. Leurs expressions oscillent du recueillement à la méditation en passant par la tristesse, déclinées à l’aide d’une gestuelle épurée soulignée par d’épais vêtements aux plis symbolistes. Tout l’art médiéval s’y trouve ici exprimé à travers cette savante alliance de raffinement et de grandeur.
Mélopée Forale
Pierre-Félix Fix-Masseau (Lyon 1869 – 1937) Tête de Femme, fin XIXème, Marbre
Artiste lyonnais, Fix-Masseau reçoit une formation académique à l’école des Beaux-Arts de sa ville natale, puis à Paris. En 1879, il obtient une bourse d’étude qui lui ouvre les portes de l’Europe. Il voyage sur les traces de l’art en Belgique, aux Pays-Bas, en Suisse et en Italie, à Florence et à Naples. Revenu à Paris, il vit retiré du monde, ne fréquentant que certains cercles symbolistes et n’ouvrant son ateliers qu’à de rares intimes. Doté d’une personnalité éminemment poétique et mystique, Félix n’hésite pas à se déguiser en Christ. Son travail est remarqué par Rodin au Salon des Artistes Français où il expose ses œuvres de 1890 à 1892. En 1895, il expose sa magnifique oeuvre l’Emprise qui consacre sa renommée comme sculpteur symboliste.
Cette œuvre est retenue pour l’Exposition universelle de 1900. La même année, il participe au premier Salon de l’Art Nouveau à Paris. Les symbolistes voient en lui le sculpteur de la névrose et de l’invisible. Les masques, les têtes d’expression et les figures féminines sont le support d’une exploration intérieure de l’âme. Créant des objets au sein desquels le fantasme et le rêve se mêlent à l’évocation de la nature, certains éléments comme les chevelures, prennent une importance étrange. Son goût récurant pour la figure féminine associée à des motifs floraux, sa fascination pour l’insolite, son intérêt pour les objets du quotidien en font l’un des représentants de l’Art nouveau et du symbolisme. Cette Tête de Femme à la chevelure libre et bouclée tombant sur ses épaules à la manière d’une cascade végétale en est une parfaite illustration : ses yeux clos, le demi-sourire de son visage confiant et l’inclinaison onirique de sa tête nous font basculer subtilement d’un face à face contemplatif conscient aux mondes intérieurs et mélodieux de la prière.
Monde Spirituel
Bois de noyer, d’alisier et de chêne.
Vers 1900, les artistes Symbolistes, tel Dampt, désiraient produire un art mystique proche des oeuvres médiévales au sein desquelles naturalisme et fantastique s’y entremêleraient sans contradiction. Bourguignon de naissance, Jean Dampt est immergé dès son plus jeune âge dans l’atmosphère monacale et recueillie de l’Abbaye de Cluny. Si le goût pour la sculpture et le travail manuel se profile déjà, c’est aux Beaux-Arts de Dijon qu’il entamera sa véritable formation artistique. Il est l’auteur d’une oeuvre sculptée fabuleuse et singulière dont plusieurs autres pièces majeures sont désormais conservées au musée d’Orsay, à Paris.
Exposée au Salon de 1896, ce lit éveille encore de nos jours la curiosité et l’émerveillement du regard. Si la structure du meuble s’apparente au mouvement néogothique mis au goût du jour par l’architecte Viollet-le-Duc, contribuant à la redécouverte du Moyen-Âge au 19ème siècle, les décors s’ancrent quant à eux dans le répertoire sentimental, évanescent et mystérieux du symbolisme fin de siècle, ouvrant une profonde réflexion sur la destinée humaine et le sens de la vie. Orné de panneaux de bois soigneusement sculptés, on peut découvrir sur la tête de lit trois scènes symbolisant la maternité, l’amour et la vie de couple. De part et d’autre, deux têtes masculines, doigt posé sur la bouche, invoquent le silence du sommeil. Un dais de bois couronne le lit en marqueterie à motifs végétaux que surmonte une frise calligraphiée dans le style néogothique mordue par une gargouille dragon où l’on peut déchiffrer la devise suivante : « A songe d’or celui qui dort sans un remord. » Au pied du lit son représenté les âges de la vie ; de l’enfance à l’adolescence vers l’âge adulte puis la vieillesse. Deux figures sérieusement songeuses de jeunes anges aux ailes somptueuses viennent encadrer métaphoriquement l’évolution de la destinée humaine. Quels délices que de plonger dans le sommeil enchanteur de cette oeuvre !
Maëlstrom Amoureux
Paul Gasq (Dijon 1860 – Paris 1944), Héro & Léandre ou Le Baiser, vers 1904, Biscuit de Sèvres
Considéré par la critique et le public avant-gardiste du XXème siècle comme un artiste fade, sans originalité, académique et officiel, l’oeuvre du sculpteur bourguignon Paul Gasq reste pourtant celle d’un contemporain d’Auguste Rodin. Sans doute moins démiurgique et passionné, mais dont les veines artistiques seraient comme reliées au même coeur, ce couple tendrement enlacé dont l’étreinte se confond dans la matière, n’est pas sans rappeler le célèbre Baiser rodinesque. Tout comme l’oeuvre de Rodin illustrant à l’origine l’amour de Paolo & Francesca, l’Héro & Léandre de Paul Gasq figure un couple littéraire dont l’universalité sentimentale en fait une oeuvre éminemment décorative et romantique. Couple d’amoureux issu de la mythologie grecque, Héro et Léandre voient leurs destinés séparées par un fleuve aux tourbillons tragiques. Lorsqu’un jour de fête sur l’île de Sestos, le regard de la sublime Héro croise celui de Léandre, un amour réciproque et intense les foudroie. Chaque nuit, dans les profondeurs de l’obscurité, Léandre traversera à la nage les eaux qui le séparent de sa bien-aimée, regagnant chaque matin sa rive afin de n’éveiller aucun soupçon. Improvisant un phare de fortune, du haut de sa tour, Héro le guidera à la lueur d’une lanterne. Le ballet amoureux s’étant déroulé paisiblement de l’été à l’automne, l’hiver refroidit petit à petit les eaux qui les séparaient, apportant avec lui, une tragique météo. Alors que les éléments se déchaînent, que les vagues se fracassent sur les rives et que le vent se glace, Héro supplie tout de même Léandre de venir la rejoindre. Une nuit où la tempête fait encore rage, Léandre se jette à l’eau, suspendue au flambeau de Héro vacillant au loin, qui finit par s’éteindre, terrassé par les bourrasques. Perdu et ballotté par les flots, Léandre est alors englouti dans la rage de la mer. L’ayant guetté toute la nuite, Héro aperçoit au lever du jour le corps disloqué de son amant sur les rochers. Eperdue de désespoir, celle-ci se précipite dans le vide, afin d’accompagner son bien-aimé en sa dernière demeure, s’unissant avec lui une ultime et sublime fois.