Gustave-Adolphe Mossa (Nice 1883 -1971) Prince décadent niçois

Niciensis Pinxit : des violences de la guerre à celles de la tentation

Les déités effrayantes de l’imaginaire mossien sont nées au sein de lieux et monuments pleinement ancrés dans le Nice de la Belle Époque. Possédé par les tonalités chatoyantes de sa ville natale, l’art étrange et fantastique de Gustave-Adolphe Mossa conjugue un répertoire symboliste classique aux motifs de femmes fatales, chimères et autres références littéraires fin de siècle, avec le folklore des traditions niçoises, aboutissant à la création d’une véritable mythologie personnelle. Si Gustave Adolphe Mossa peut continuer de nous inspirer aujourd’hui, c’est au regard de sa capacité à sublimer par l’art, la violence et la noirceur des pulsions intérieures humaines. Jeune homme timide, poli et farouche, il n’exprimera jamais par le verbe ni par aucune expression comportementale, ses angoisses seulement extériorisées par les yeux et l’image. L’insociabilité de l’artiste écarte les autres comme objet d’agression afin de se prémunir du passage à l’acte contre eux. Car c’est bien par l’idée de meurtre et de mort que Mossa tout entier est envahi, vécue dans la passion et la guerre ainsi que son œuvre exutoire et symboliste nous le dévoile…

Gustave A. Mossa, Le Sourire de Reims, 1918

Très Tristes Heures

Les Très Tristes Heures de la guerre : Le Sourire de Reims1918, aquarelle, mine de plomb, encre et dorure sur papier, 39,5 x 26,5 cm, Nice, musée des Beaux-Arts Jules Chéret, Inv. 6243.

Lorsque l’Allemagne déclare la guerre à la France le 3 août 1914 à la suite de l’embrasement du jeu des alliances européennes, Gustave rejoint immédiatement le 7e bataillon des chasseurs alpins. La boue, la fatigue, la faim, le froid, le danger, les corps dépecés et décapités des soldats allemands et français sur le champ de bataille, le confrontent à une commune misère de part et d’autre de chaque camp. Alors que sa famille suit avec anxiété sa progression au gré des courriers durant ses trois mois passés sur le front, son père également peintre, tente de transcender la difficulté de la situation par des élans artistiques : « A quelles horribles visions vas-tu assister, mon cher imagier et que vont-elles laisser dans ton imagination d’artiste. En tout cas, cher enfant, je sais que tu les regarderas avec un calme intrépide et un sang-froid digne de ton beau caractère. » (Lettre d’Alexis Mossa à Gustave Adolphe, novembre 1914, Nice, bibliothèque de Cessole.) Blessé à la tête par un éclat d’obus, Gustave est rapatrié pour convalescence et se consacre à deux cycles symbolistes intitulées Les Très Tristes Heures de la guerre, en référence aux célèbres Très Riches Heures du duc de Berry, suivies des Visions de guerre présentées en 1918 à Nice. Pour l’artiste, la destruction de la cathédrale de Reims suite aux bombardements allemands du 19 septembre 1914, est allégorique de la barbarie guerrière. Ici, le fameux ange aux sourire courtois rémois irradie la silhouette fantomatique et mortifère du Kaiser.

Faust au jardin de Gretchen, 1913

Germanophilie Symboliste

Faust au jardin de Gretchen1913, aquarelle, mine de plomb, encre, gouache et rehauts dorés sur papier, 59 x 41,5 cm, Nice, musée des Beaux-Arts Jules Chéret, Inv. 2004.1.2

Aux imprécations paternelles enthousiasmées des futures créations que le combat inspirera à son fils, Gustave se trouve confronté au problème plastique majeur de tous les artistes-soldats de son époque : celui de la représentation de la violence guerrière moderne. Impossible alors de renouveler la peinture de bataille traditionnelle devant l’atrocité devenue industrielle qui broie les hommes de façon mécanique, avant de pouvoir les figurer de façon noble et héroïque. Dans la continuité de son œuvre, Mossa recourt alors à l’allégorie et au symbolisme. Ses images sont la traduction, en figures allégoriques, des sensations et sentiments qu’il a éprouvés devant cette sanglante tragédie, vécue dans sa chair. Multipliant les anachronismes techniques sur le style médiéval de l’enluminure et de la miniature, l’artiste entremêle les référence littéraires, mythologiques et historiques afin d’apporter à ses créations un rapport universel et atemporel au conflit. Grand amateur de la culture poétique romantique germanique, Mossa ne se détourne pas des chères figures de Wagner, Goethe ou de Faust. Ces sources poétiques restent pour lui, de précieux sujets d’inspiration. Ici, il traite ses aquarelles avec une virtuosité d’orfèvre et traite le détail graphique avec une précision joaillière, hanté par le souci d’un dessin à la ciselure parfaite, telle une mosaïque aux mille détails.

Gustave A. Mossa. Salomé, Prologue du Christianisme, 1901

Aux origines du chaos

Salomé ou Prologue du christianisme, 1901, huile sur toile, 241 x 140 cm, Nice, musée des Beaux-Arts Jules Chéret, Inv. 2044.

Dès le début de sa carrière, la sensibilité et l’attention de Mossa se porte sur le tragique du quotidien. Première peinture réalisée et exposée en 1901 par l’artiste, âgé de 18 ans, à la Société des Beaux-Arts de Nice, cette œuvre de jeunesse balance encore entre orientalisme de par sa pause hiératique dans un décor égyptisant et symboliste, avec un style s’inscrivant dans la veine de Gustave Moreau. Les images ciselées et orfévrées de Mossa, constituent des espaces particuliers où s’invitent les archétypes de l’humanité d’Œdipe à Hamlet, et en première place ces femmes fatales d’Hérodias à Judith, dont la puissance engendre un irrésistible maelström entre Éros et Thanatos. Au-delà de sa sensualité exacerbée, la figure biblique de Salomé l’intéresse car elle incarne le paradoxe de la Tentation, qui est accomplissement et destruction, attrait et répulsion, désir de vie et de mort.

« Ta royale infamie est ton nimbe ; et l’artiste,

Dans ta haine englobant le prophète âpre et triste

Qui blasphème ta gloire, ô femme d’Antipas,

Évoquera toujours la froide Hérodias

Faisant en lourds rubis sur le plat d’améthyste

Luire, poindre et perler le sang de Jean-Baptiste. »

Jean Lorrain, L’Ombre Ardente, 1897.

 
 

Gustave. A. Mossa, Venusberg, 1907

Prophète Décadent

Venusberg, 1907, aquarelle, mine de plomb et gouache sur papier blanc, 44 x 71 cm, collection particulière.

Hérodias morte, 1906, aquarelle, mine de plomb, encre et gouache sur papier, 40,5 x 63,5 cm, Paris, collection galerie Ary Jan

Comme tous les décadents, Mossa éprouve un attrait pour la profanation du sacré. La conscience aiguë de la mort chez l’artiste se traduit dans une iconographie macabre qui doit beaucoup aux vanités et Memento Mori de la peinture baroque. Comme dans ses deux bijoux graphiques, c’est le plus souvent la femme qui est l’instrument et la messagère de cette souffrance existentielle. Analogie peu fréquente dans l’histoire des arts, l’artiste fait correspondre avec complicité, les figures de la mère et de sa fille, Hérodias et Salomé. Hérodias morte constitue l’un des chefs-d’œuvre de l’artiste. Flottant au centre d’une vision épurée de tout décor, règne une sobriété d’un blanc étouffant, la mère en extase agrippant contre son ventre le crâne du Baptiste. C’est d’après l’opéra wagnérien Tannhäuser que Mossa réalise cette sublime aquarelle Venusberg. Le récit légendaire allemand met en scène un chevalier poète, Tannhäuser, qui, ayant découvert la demeure souterraine de la déesse de l’amour, passe une année de sa vie à l’adorer. Parvenu à quitter le mont de Vénus, le chevalier chrétien est empli de culpabilité et se précipite au Vatican afin de solliciter l’absolution du Pape. Dans l’œuvre de Mossa, la jeune femme recouvre de son corps gracile, une montagne d’amants miniatures se décomposant en béliers, un miroir à la main reflétant une tête de mort, faisant à nouveau allusion aux vanités de la peinture baroque.

Bibliographie, pour aller plus loin dans votre lecture :

Jean-Pierre Bourdin, Juliette Chevée, Rémy Gasiglia, Françoise Kerr, Clara Langer, Johanne Lindskog, Sylvie Lombart, Charles Mossa, Jeanne Pillon, Jean-Paul Potron, Yolita René, Yves Sarfati, Catalogue d’expostion, musée des Beaux-Arts Jules Cheret, Gustave Adolphe Mossa, Niciensis Pinxit, Gilletta édition, 2022, 176.p. 

Les Adresses du Cloître de l’Art :

Musée des Beaux-Arts de Nice, 33, avenue des Baumettes, 06000, Nice

Catalogue Expo Vroubel