Un Scandinave à Paris : Akseli Gallen-Kallela (Finlande 1865 - Suède 1931)

La Nature Mystique exposée au Musée Jacquemart-André

L’art et la vie d’Akseli Gallen-Kallela peuvent être placés sous le signe du contraste. Sensible et mélancolique, son œuvre oscille entre sereines toiles édéniques et sombres gravures symbolistes. Du fruit de son travail résulte plus de mille peintures à l’huile, de nombreux dessins et esquisses et plus d’une centaine de gravures. Une séléction de ses plus belles oeuvres est à contempler sur les élégantes cimanises du musée jacquemart-andré du 11 mars au 25 juillet 2022. Cette formidable exposition nous fait voyager à la suite de l’artiste à travers les forêts enneigées et immaculées d’une nature finlandaise aux accents mystiques et ésotériques… Suivez le guide !

 

« Mon travail me cause tant de tournements que je suis prêt à dire que pour moi, créer c’est souffrir. Mais alors que la résignation s’abat sur moi, je remarque qu’il reste encore beaucoup de choses non étudiées, beaucoup de problèmes non résolus qui pourraient l’être grâce à la vie elle-même. Petit à petit, mon état d’esprit s’améliore, et malgré tous mes tourments, je peux dire que j’ai connu une vraie joie de vivre. » A. G-K

De Signorelli à Doré Musée de Strasbourg

Romance Finnoise

Akseli Gallen-Kallela (1865-1931) Mary brodant sur le porche de Kalela, vers 1897, huile sur toile, Collection particulière via Musée Gallen-Kallel

 « Dans les grands pays dits civilisés, en Allemagne, en France, en Angleterre ou en Italie, mon mal du pays m’a empêché de peindre les paysages de ces nations, ou de brosser les caractéristiques de la vie de leurs peuples – je n’y suis jamais parvenu, et pourtant, de temps en temps, ce n’est pas l’envie qui m’en manquait. » Au printemps 1884, le jeune Gallen, alors âgé de 19 ans, finit ses études d’art à Helsinki. En automne, il part pour son premier voyage d’étude à Paris. Il y suit tout d’abord les cours de l’Académie Julian, sous l’enseignement du peintre Pompier William Bouguereau. Les boulevards et les cafés typiquement parisiens offrent alors une multitude de sujets fascinants à ce jeune finlandais ardent de savourer la vie animée d’une grande ville avec la même intensité qu’il a eu pour le silence de ses contrées inhabitées. Au printemps 1887, alors brièvement de retour en Finlande, Gallen tombe fou amoureux de Mary Slöör, sœur d’un ami d’enfance. Ce coup de foudre rend à son retour sa vie parisienne plus nostalgique encore, car outre le mal du pays, son amour le ronge. L’artiste la représente ici de profil quelques années plus tard, les yeux penchés sur son ouvrage brodé (destiné à l’ornementation de leur maison baptisée Kalela) au sein d’une atmosphère lacustre et idyllique entourée de splendides roses écloses dont la moellosité des pétales fait écho aux manches gigot de la robe émeraude dont elle est revêtue. Axel et Mary se marient trois ans plus tard, en mai 1890. Pour leur voyage de noces, ils partent en Carélie. Ce voyage se révèle être une fantastique source d’inspiration pour l’artiste qui réalise de nombreux dessins qui l’aideront à élaborer ses futures œuvres peintes. L’artiste y réinterprètera la nature nordique avec sensibilité, créant de sublimes paysages aux accents symphoniques et lyriques.

William Blake, Ecrits prophétiques

Mythologie Scandinave

Akseli Gallen-Kallela (1865-1931)
Printemps à Kalela, vers 1900
Huile sur toile – 133 x 80 cm
Vienne, Österreichische Galerie Belveder

Gallen-Kallela a su représenter la Finlande avec un lyrisme incomparable. Tournant le dos à la modernité urbaine, il encre son œuvre dans la nature sauvage, suivant le déroulé des saisons en prenant pour motif les denses forêts et les innombrables lacs finlandais. Son désir est de retrouver une nature pure, intacte, intouchée par la main de l’homme et non industrialisée. L’artiste part ainsi régulièrement, pinceaux et palettes en mains, à la découverte de son environnement natal à travers ses forêts sauvages, peignant la nature en portant son regard tantôt sur un pin solitaire tantôt sur les jeux de lumière à la surface d’un lac au fond des forêts, pouvant skier jusqu’a 60 kilomètres par jour afin de trouver l’inspiration idéale. L’exposition du musée Jacquemart-André se propose d’étudier, de manière plus approfondie, la question de la relation de l’artiste à la nature, qui évolue au cours sa carrière. Ethnographique à ses débuts, elle se nourrit de la pensée ésotérique dans les années 1895 pour acquérir une amplitude inégalée au tournant du XXe siècle. Cette mutation s’accompagne d’un changement de style, qui, du naturalisme parisien évolue vers le symbolisme européen. Le parcours se termine avec des paysages sauvages animés d’une émotion sacrée ainsi que d’une nature habitée par une présence spirituelle. Le vocabulaire de reflets, de bruissements et de silence que développe Gallen-Kallela, au tournant du siècle, a fixé jusqu’à nos jours l’identité du paysage finlandais.

sainr sébastien

Résurrection Florale

Akseli Gallen-Kallela (1865-1931) 

Fleur de la Mort, 1895, gravure sur bois     16,5 × 15,5 cm, Ateneum Museum Helsinki 

Ad Astra, 1894 – Huile sur toile – 76 x 85 cm, Helsinki, collection particulière

Alors qu’il séjourne à Berlin au mois de mars de l’année 1895, Gallen reçoit un funeste télégramme de son épouse Mary : « Marjatta, décédée. ». La première fille de l’artiste, Impi Marjatta, alors âgé de seulement quatre ans, meurt de diphtérie dans les bras de sa mère. Axel quitte alors l’Allemagne bouleversé afin de retrouver la jeune femme brisée par le chagrin. Le couple décide de s’installer à Londres afin de noyer leur douleur dans l’effervescence culturelle et cosmopolite de la mégalopole victorienne. A Berlin, Gallen est profondément touché par les travaux graphiques de son confrère d’âme scandinave Edvard Munch. Désireux d’approfondir son goût et ses connaissances pour la gravure sur cuivre et sur bois, il se procure une presse d’imprimerie à Londres. Ayant d’ores et déjà acquis les rudiments de l’eau-forte à Berlin auprès de l’artiste Jugendstil Josef Sattler, les possibilités esthétiques inhérentes à cette technique aux noirs encrages lui permettent d’exprimer toutes les nuances de ses sombres états d’âme. De retour en Finlande à l’été 1895, Akseli grave et imprime en décembre, au sein de l’atelier de Kalela, sa première œuvre graphique intitulée Fleur de la Mort. Hommage aimant et sublimé à sa petite fille montée aux Cieux, l’œuvre la représente dans une forêt contemplant le lys de l’Innocence planté au bord d’une noire flaque, la Mort serpentée à un sapin l’attirant de sa main squelettique. Un mélancolique poème en finlandais y est imprimé sur sa gauche. Cette poignante œuvre graphique contient en elle les formes de l’Art Nouveau, les énigmes de la vie et de la mort, la forêt finlandaise et l’âme nationale, les forces de la parole et de l’image. Le sujet d’Ad Astra, peint en 1894, résonne comme une préfiguration de l’épreuve survenue un an auparavant. D’inspiration biblique, Gallen y interprète sa résurrection : « La toile décrit la Résurrection. Le récit de la Crucifixion de Jésus a eu une influence importante sur le sujet et sur son traitement. La position du Libérateur du monde sur le Crucifix – ne pourrait-elle pas également symboliser ce que ressent un homme qui a souffert tous les maux et qui s’est libéré de tout ? »

Rêvoir Décoratif

Akseli Gallen-Kallela, Kalela en hiver, 1896, huile sur toile, 34 x 26 cm, Collection particulière

« Quel est celui d’entre nous qui, dans de longues heures de loisirs, n’a pas pris un délicieux plaisir à se construire un appartement modèle, un domicile idéal, un rêvoir? » Cette remarque écrite par Baudelaire à l’occasion de sa traduction du texte d’Edgar Poe paru en 1853 intitulé Philosophie de l’Ameublement pourrait résumer à elle seule l’engouement des artistes pré-raphaélites et symbolistes fin de siècle pour les Arts Décoratifs et leur aspiration à se construire, de leurs propres mains, une niche-atelier spirituellement et artistiquement incarnée au quotidien. Après leur retour de Londres, à l’été 1895, Axel et Mary Gallen partent à la recherche du calme et de la paix dans les forêts sauvages de Ruovesi. Les y attend leur maison-atelier en projet de construction, située dans la région  du sud de la Finlande et voisine Russie; la Carélile. Cette isba magique, joyau d’architecture traditionnelle, qu’ils allaient baptiser Kalela, se situe au bout d’une petite presqu’île étroite entourée de rochers, avec vue monacale à 360 degrés. Se détachant sur un ciel d’hiver d’un bleu profond entre chien et loup, l’artiste nous donne à voir à travers cette ravissante toile toute l’authenticité et la chaleur intime se dégageant de cette demeure enneigée, ouverte sur le sublime et sauvage paysage environnant. Elle constituera l’une des œuvres majeures dans la carrière artistique de Gallen : celle d’une œuvre d’art totale intégrant le décor intérieur, construite sur un plan carré, composée de rondins de bois couronnée d’un toit en bâtière comprenant un immense atelier. Les murs intérieurs y sont laissés en bois brut, à l’exception de la cuisine et des chambres tapissées de papier peint raffinés. L’ensemble est illuminé par vingt-neuf fenêtres de différentes formes. L’artiste utilisera ce formidable espace de création afin de s’adonner aux arts décoratifs mettant en pratique son apprentissage londonien et les exemples contemplés au musée de South Kensington (actuel Victoria & Albert Museum).

  • Les Adresses du Cloître de l’Art 
– Musée Jacquemart-André, 158 boulevard Haussman, 75008, Paris. 
– Pour une découvere virtuelle des oeuvres graphiques et peintes de Gallen Kallela, rendez-vous sur le site en ligne du Musée National Finnois : Cliquez ici
Bibliographie 
Fabienne Chevallier ; Joanne Gallen-Kallela-Sirèn ; Laura Gutman-Hanhivaara ; Magdalena M. Moeller ; Phillipe Thiébaut. Catalogue d’exposition, Akseli Gallen-Kallela, Une Passion Finlandaise, Paris – Musée d’Orsay, 2012,