Les Peintres du Rêve en Bretagne

Nabis & Symbolistes à la conquête du Divin

  La Bretagne aurait-elle servi de cadre inspirateur aux élans du symbolisme comme elle s’était prêtée aux rêves du romantisme et aux scrutations des réalistes ? La tendance au rêve que l’on prête volontiers au tempérament celte se serait-elle trouvée en particulière harmonie avec la mélancolie de ceux que l’on appelle, à la fin du XIXe siècle, les peintres de l’âme ? Si durant tout le dix-neuvième siècle, nombre de peintres ont à travers leur œuvre su traduire les réalités bretonnes de la richesse des costumes au travail paysan et aux embruns marins en passant par les manifestations religieuses des foules pieuses, le début du siècle suivant voit naître avec lui une génération d’artistes symbolistes en quête de mystère spirituel et de singularité poétique.  

A l’aube du romantisme, Gaspar David Friedrich avait aimé peindre le promeneur solitaire contemplant la nature immense et souveraine, simple silhouette de dos, appelant celui qui contemple l’œuvre à partager sa réflexion. Pour l’artiste symboliste, la concentration sur le monde spirituel est essentielle. Les images peintes sont méditées et longuement travaillées afin de permettre l’envol de nos propres rêves… vers le Divin.
Edgar Maxence, La Prière Bretonne

Méditation Médiévale

Edgar Maxence (1971-1954), La Prière Bretonne, huile sur bois, Collection particulière

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Le langage pictural raffiné du nantais Edgar Maxence, s’attache à la tradition de l’iconographie allégorique. Elève d’Elie Delaunay puis de Gustave Moreau, il recherche, tout comme les Préraphaélites, à recréer dans ses œuvres un univers médiévalo- Renaissant quelque peu théâtral. Lié au mouvement symboliste, dont il partage les thèmes, il expose aux Salons de la Rose+Croix de 1895 à 1897. Il représente cependant toujours ses personnages de manière très réalistes, incarnés et charnels, tout en les élevant au rang d’allégories par le biais de ses titres : Légende Bretonne, Prière Bretonne, L’Âme de la foret, L’Angélus… Les revêtant d’accessoires et de costumes inspirés de la Bretagne ancienne, toujours teinté d’historicisme en peignant magiquement les détails, les gestes se figent ainsi sur des fonds ornementés inspirés de la tapisserie et dont les personnages deviennent icôniques. Sa technique fait aussi référence aux techniques anciennes par l’utilisation de fonds d’or, de la tempera et de la peinture à la cire et huile mélangées, aux couches prononcées, dont la préciosité est renforcée par la création de cadres architecturés de style gothique tardif ou renaissant. Les paysages situent ses portraits de femmes atemporelles dans une réalité géographique naturaliste qui ajoute à leur mystère en conférant par contraste, beauté, poésie et étrangeté à ses tableaux. La Prière Bretonne s’inscrit ainsi bien dans l’esprit de l’artiste, admirateur de la femme et des séducations celtiques dans une imagerie historiciste. Cette peinture au caractère receuilli avec l’infini de l’horizon sur la partie droite du tableau fait écho à l’intériorité insondable de la jeune femme orante. Son regard mélancolique et rougi de pleurs nous renvoie à nos propres mystères et souffrances, nous invitant de ses mains jointes à confier en prière à Dieu nos propres blessures et espérances. Cette peinture d’après 1900, joue sur la luminosité de la touche post impressionniste, loin de la belle matière de la cire des fonds d’or qui l’ont distinguées.

Alexandre Séon - La Pensée, Musée des Beaux Arts de Brest

Sérénité Iconique

Alexandre Séon (Chazelle-sur-Lyon, 1855 – Paris, 1917), La Pensée, 1900, huile sur toile, MBA de Brest

Au sommet d’un arc gothique, l’allégorie de la pensée fut peinte en 1900 par le peintre symboliste Alexandre Séon. Après des études à l’École des Beaux Arts de Lyon, l’artiste s’inscrit en 1877 à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, dans l’atelier d’Henri Lehmann, où il se lie d’amitié avec Alphonse Osbert, Georges Seurat et Puvis de Chavannes, dont il devient l’élève. L’on retrouve chez Séon une synthèse stylistique entre le classicisme de Puvis et un goût prononcé pour l’ésotérisme. Préoccupé par la vie sociale et spirituelle, Séon croit à la beauté comme source de bonheur et d’élévation des âmes. En témoigne cette figure féminine à la beauté idéale, ailes déployée, coiffée d’une couronne de pensées, qui contemple, sereine, les ruines d’une ville et de sa cathédrale. Inatteignable et songeuse, la belle jeune femme ailée semble trôner et régner paisiblement au-dessus des contingences du monde matériel. Irradiée d’une harmonieuse luminosité aux tonalités pastels, cette composition permet à l’artiste de s’appliquer à une étude très minutieuse des ailes et des plis du drapé. Privée de toute émotion, calme et placide, cette figure ailée matérialise la résignation muette de notre condition humaine, condamnée à éprouver corps et âme le manque terrestre du divin. A l’opposé de la représentation réaliste, Alexandre Séon idéalise son art, élève le propos en l’ennoblissant icôniquement. Le peintre séjournera sur l’Ile de Bréhat où il fera construire une maison, afin d’y peindre sur le motif de nombreuses petites marines qui constituent autant d’études pour ses compositions telle La Lamentation d’Orphée du musée d’Orsay.

John Recknagel -Portrait d’une jeune Fouesnantaise

Regard Célèste

John Recknagel (1870-1940) Portrait d’une jeune Fouesnantaise, 1909, pastel sur papier, Collection particulière

Le Musée du Faouët, situé dans le Morbihan présente depuis le 9 avril et jusqu’au 10 septembre 2022, une intéressante exposition temporaire autour du Portrait dans la peinture bretonne depuis ses prémices jusqu’aux artistes plus contemporains du début du XXème siècle sans oublier les symbolistes fin de siècle. Après son essor aux 16ème et 17ème siècles dans le portrait de cour et son âge d’or au 18e siècle dans les milieux bourgeois, le portrait comme figuration de l’individu se développe tout au long du 19e siècle ; il trouve écho aussi bien chez les néoclassiques que chez les romantiques, puis chez les réalistes et les naturalistes, ainsi que dans les nouvelles recherches esthétiques en peinture portée par le mouvement symboliste. À travers plus d’une centaine de peintures et dessins, ces portraits de peintres, d’hommes, de femmes et d’enfants mis en scène sur fond neutre ou décoratif, ou avec pour arrière-plan un intérieur ou un paysage, révèlent, au- delà de la recherche esthétique de l’œuvre, l’analyse psychologique, intérieure et spirituelle du modèle.

Vous pourrez y admirer de somptueuses aquarelles d’Elisabeth Sonrel issues de collections particulières aux côtés de la divine Prière Bretonne dans son cadre en bois sculpté doré d’esprit médiéval d’Edgar Maxence, présentée dans cet article. Un émouvant portrait de l’artiste bretonne peintre Madeleine Fié-Fieux, dont une très belle Nature morte au Christ vous sera proposée à l’aquisition dans la galerie en ligne prochainement. N’hésitez pas à m’écrire via la messagerie du site pour plus d’information sur l’oeuvre à venir si vous êtes interessés ! Deux autres portraits de jeunes bretonnes sont également à venir. 

Albert Clouard, Saint Guirec en Bretagne

Apparition Volcanique

Albert Clouard (Rennes, 1866 – Trégastel, 1952), Comment Saint Guirec vint en Bretagne, huile sur toile, 1903, Ville de Perros-Guirec

Peintre autodidacte au style tout personnel, à la fois puissant et envoûtant, Albert Clouard s’installe à Paris en 1888 après avoir fait carrière d’avocat à Rennes et constitué une fortune suffisante pour vivre de sa passion. Il y fait alors la connaissance des poètes symbolistes de son temps, participant aux dîners celtiques organisés par l’ethnographe Narcisse Quellien, qui avaient pour but de rassembler dans la capitale des artistes bretons et sympathisants de la Bretagne vivants à Paris. Il est surnommé le « nabi clandestin » par Maurice Denis, qu’il rencontre avec sa femme Marthe durant l’été 1897 à Perros-Guierec, donnant naissance à une longue amitié ainsi qu’à une œuvre peinte en correspondance. Également poète, l’œuvre peinte de Clouard est une ode à la Bretagne légendaire, celte, chrétienne et sacrée, ou les aplats du synthétisme délimitent harmonieusement des compositions décoratives aux tonalités assourdies et mates. L’oeuvre ci-contre évoque la légende de Saint Guirec (Ve siècle) ici représentée dans une alliance de poétisme incandescente et de picturalité narrative. Se détachant sur un fond de rochers aux cieux ardents, saint Guirec est représenté ici débarquant tel un druide dans une petite barque à voile unique sur la plage bretonne, sous le regard hypnotisé des habitants contemporains en habits traditionnels noirs et blancs. Lors de la conception du tableau, l’artiste séjourne alors tout près de la plage Saint-Guirec à Ploumanac’h, où se situe le bel oratoire en pierre consacré au saint : la tradition locale voulant que toutes les jeunes femmes désirant se marier viennent planter des épingles dans le nez de la statue. De cet imposant tableau aux tonalités volcaniques se dégage une atmosphère mystique, surnaturelle et prophétique. Présenté au Salon des Indépendants de 1905, le coloris rouge mystique de la toile n’est pas sans rappeler La Vision du Sermon de Gauguin, peinte en 1888.

Les Adresses du Cloître de l’Art :
 Musée des Beaux-Arts de Brest, 24 rue Trav, 29200, Brest 
Musée du Faouët,  1A rue de Quimper, 56320, Le Faouët

Bibliographie, pour aller plus loin dans votre lecture :
Catalogue d’exposition, Autour des Symbolistes et des Nabis du Musée, Les Peintres du Rêve en Bretagne, Musée des Beaux-Arts de Brest, 2017. (Coll. F. Cuillandre, F. Daniel, P. Le Guillou, D. Delouche, A. Delannoy, G. Lacambre)
Catalogue d’exposition, Alexandre Séon, La Beauté Idéale, Musée des Beaux Arts de Quimper, Silvana Editoriale, 2015. (Coll. J-D Jumeau-Lafond, D. Durand, G. Ambroise, J. Beauffet, H. Moulin-Stanislas)
Alexandre Séon, La Beauté Idéale

Les Peintres du Rêve, symbolistes et nabis, Musée Brest

Faouet - Morbihan, musée du Faouet