A LA RECHERCHE DE L'ABSOLU

Symbolisme, Sensualité & Spiritualité à la Française

Au crépuscule du XVIIIème, siècle qui fit la part belle aux sujets galants et mutins, l’inspiration mystique et biblique revient au goût du jour. Ce renouveau spirituel au XIXème siècle va donner naissance à de nombreuses oeuvres profondes et fantastiques entre 1850 et 1910. Les artistes, s’éloignant ou non des conventions académiques, vont ainsi laisser libre cours à leur imagination et à leur poésie intérieure. Souvent tourmentés & passionnés, ils vont trouver un écho singulier à leurs visions et idéaux surnaturels dans la figure du christ et des saints. Si l’intérêt pour l’héritage classique va persister, apparaîtra le besoin d’une figuration plus personnelle mais non moins traditionnelle & sensuelle : celle de la dévotion chrétienne. Le corps étant père de l’âme humaine. 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mûs par une attirance pour la nature conjointe à un vif désir d’élévation spirituelle, Gustave Moreau & Jean-Jaques Henner ont été formés à la copie des maîtres italiens & nordiques de la Renaissance. Révisons aujourd’hui nos classiques à travers leurs yeux, ou plûtot au fil de leurs pinceaux, virevoltants entre tradition et modernité, héritage classique et rêves intimes.  

De Signorelli à Doré Musée de Strasbourg

Merveilleux Martyre

Gustave Moreau (1826-1898) Saint Sébastien et l’ange, huile sur panneau, vers 1876, Musée Gustave Moreau, Paris. 

Prenant appui contre le tronc de la Vie d’un élégant contrapposto grec, nous est présenté ici un gracile Saint Sébastien à l’orgueilleuse beauté prométhéenne dont le drapé verdâtre de pudeur s’apparente au serpent biblique. Si le saint semble tenir de sa main droite la pomme invisible de la Connaissance d’un regard emprunt d’une certaine inquiétude néanmoins exempte de remord, l’ange flamboyant à sa gauche pourrait symboliser cette conscience avertie du martyre et de la Renaissance, à l’image de la lumineuse petite Croix sanglante figurée en haut de la composition. Gustave Moreau parviendra à allier dans son oeuvre la vision intellectuelle de Vinci et de Poussin à l’inspiration romantique de son maître Théodore Chassériau via son imagination foisonnante, sa touche fougueuse et son audace coloristique. Si son art ne cherche pas à être réaliste mais se consacre aux tréfonds de l’imagination créatrice, c’est que l’artiste désirait une œuvre où l’âme pût retrouver ses rêves perdus de tendresse, d’amour, d’enthousiasme, et d’élévation religieuse vers les sphères supérieures où tout y était haut, puissant, moral et bienfaisant. Son génie fut de parvenir à nous faire conjointement rêver et penser tout en nous transportant vers d’oniriques contrées, faisant de lui l’un des chefs de file du mouvement Symboliste en France.

William Blake, Ecrits prophétiques

Classique Incarnation

Jean-Jacques Henner (1829-1905), La Chaste Suzanne, 1864, huile sur toile, Musée d’Orsay, Paris.

Guettée par deux vieillards dans l’ombre, ce corps gracieux de femme à la délicatesse néoclassique s’inscrit si élégamment sur le fond du paysage à l’arrière plan qu’il semble se fondre en lui. Le sujet biblique sert ici de support à la représention sensuelle. C’est sous l’influence de beaux modèles d’ateliers couplés aux merveilleux exemples de nudités peintes par Giorgione, Titien et Corrège  qu’Henner parvient à incarner ses corps sur des fonds de paysages, en union de vie avec le monde extérieur. L’impact de son voyage en Italie sur son oeuvre fut considérable : c’est là qu’il s’éprendra pour la beauté du nu, pour la magnificence de la chair souple, substantielle et lumineuse, d’un amour attendri et pur. S’étant constitué un répertoire de formes, modèles, lignes et couleurs dans lequel il puisera pour construire son langage pictural, Henner y découvrira avec émerveillement Caravage, dont les puissants clairs-obsurs et la douceur charnelle émanant de ses oeuvres empreidront intensément ses compositions. 
Cette Suzanne au Bain à la chair enneigée préfigure déja sa manière picturale de maturité : celle d’un contraste très franc entre de jeunes corps humains exquisément lumineux au relief doux et fort modulés d’un gris tendre sur fond de paysage assombri, déja touché par l’aile de la nuit.

 

sainr sébastien

Onirique Crucifixion

Gustave Moreau (1826-1898), Le Christ Rédempteur, aquarelle, gouache et crayon noir, Musée Gustave Moreau, Paris.
Gustave Moreau ne dédaigne pas la nature, il l’étudiera même à de nombreuses occasions et avec scrupules, tout au long de sa carrière de peintre. Cependant, devant la puissance de son rêve et de son imagination, il se hâte de l’oublier et de ne garder de la contemplation de celle-ci que les résonances qu’elle lui procure, tout comme sa lecture des Évangiles et de la religion chrétienne. L’artiste conçoit en effet son art comme une écriture symbolique adaptée à sa pensée, adoptant une calligraphie pétrie d’arabesques, de lignes sinueuses et musicales qui ont elles-même une signification cachée à son esprit. Tel ce Christ nimbé d’émeraudes et de pierres précieuses, évoquant presque le folkolore oriental, à l’instar des Kokochnik slaves, dont le Corps émerge d’un parterre composé de trois séraphins ailés, proche du style de son alter ego russe, Mikhaïl Vroubel (Omsk 1856 – Saint-Petersboug 1910). Ayant su admirer les maîtres du passé sans crainte de nuire à sa créativité, Moreau nourissait une grande admiration pour le fier et âpre Mantegna, l’élégant et hautin Signorelli, le divin Léonard, le vénitien Carpaccio, l’incontourable Rembrandt, les piquants Durër, Cranach et Poussin. Il s’emparera ainsi de leurs formes en les transposant avec créativité dans son répertoire artistique.

Divine Intériorité

Jean-Jacques Henner (1829-1905), Madeleine au désert, 1878, huile sur toile, Musée des Beaux-Arts de Mulhouse.

Surnommé le Peintre des Madeleines, le jeune alsacien nourrira très tôt une admiration pour les Primitifs Allemands, dont la proximité géographique avec le Kunstmuseum de Bâle lui permettra d’admirer le radical Christ au Tombeau (1521) d’Holbein. Se détachant d’un fond abyssalement noir, le corps à la peau diaphane de Madeleine se fait prière à part entière. Dénudée et dépouillée de tout attribut religieux ou profane, le peintre nous fait passer de la lettre à l’épreuve de l’esprit. Abîmé, son visage se fond picturalement et symboliquement dans l’intériorité obscure du divin. Devenue apôtre par la grâce de ses péchés remis et reçus avec amour par le Seigneur, voici le portrait d’une femme librement abandonnée à son intériorité. Si l’expression de douleur issue de l’influence nordique se fait latente, la douceur du modelé italien contemplé lors de son voyage d’étude à Rome en 1859, est palpable. Lors de son retour d’Italie à Paris en 1864, le peintre s’isolera dans son atelier durant quarante années, vivant dans la paix profonde d’une existence intérieure toute vouée à l’art. Sa porte, close aux profanes, ne s’ouvre qu’a ses modèles, devant lesquels il reste presque toujours silencieux, ainsi qu’à quelques amis de choix, qui le comprennent et à qui son âme se révèle. Non, Jean-Jacques Henner ne fut point sauvage, il fut un homme concentré. 

Les Adresses du Cloître de l’Art : 
– Musée Gustave Moreau, 14 rue Catherine de La Rochefoucauld, 75009, Paris. 
– Musée National Jean-Jaques Henner, 43 avenue de Villiers, 75017, Paris.
Bibliographie : 
–  Léonce Bénédicte, L’Idéalisme en France & en Angleterre, Gustave Moreau & E. Burne-Jones, Edition Rumeur des Âges, 1998.
– Marie-Hélène Lavallée, Jean Colrat, Emmanuelle Amiot-Saulnier, Sensualité et Spiritualité. A la recherche de l’absolu, Edition Gourcuff-Gradenigo, 2012.